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La tresse amazigh, un marqueur d’appartenance ethnique ?


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    Bibliothèque de l’Institut du monde arabe – notre réponse du 14/02/2023.

    photographie en noir et blanc de deux jeunes filles berbères dont l'une a les cheveux tressés
    Jeunes filles berbères © usage pédagogique uniquement – Centre de la culture judéo marocaine / Europeana

    Chez les Berbères, ni les vêtements, ni les bijoux, ni même les tatouages ne donnent d’indication précise sur le groupe auquel appartiennent les femmes, contrairement à la coiffure. De fait, seule la façon dont les femmes tressent et disposent leurs cheveux, leur permet d’affirmer une appartenance à un clan, pouvant se situer à l’échelle de la fraction (Aït Hadiddou), de la tribu (Aït Morrhad), ou de la confédération (Aït ‘Atta). Déjà décrites par Strabon, dans La Géographie (XVII, 3, 7), au ier siècle av. J.-C. – ier siècle apr. J.-C., les coiffures des Berbères témoignent encore aujourd’hui du mélange entre les traditions classiques gréco-romaines sensibles dans le monde rural, et l’apport du Moyen-Orient qui se manifeste à partir du viie siècle – début de l’islamisation. Si une histoire des coiffures au Maghreb reste à écrire, tachons de voir ici, de quelle façon la tresse amazigh revêt ce caractère bien particulier de marqueur ethnique, et à quelle fins.

    Qu’entend-t-on par amazigh ?

    En langue amazigh, le terme Imaziɣen (noté ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ), signifie « hommes libres » ! C’est ainsi que les Berbères se désignent eux-mêmes. Sédentaires dans le nord-ouest du Maghreb, les populations berbères sont restées nomades ou semi-nomades, quand elles n’ont pas été sédentarisées dans les zones désertiques du sud (Touareg). Le monde berbère est divers sur le plan des modes de vie traditionnels, des densités humaines, des cultures matérielles et des insertions géopolitiques. Cette diversité est accentuée par la fragmentation des Berbères depuis l’arabisation partielle de l’Afrique du Nord.

    Si l’aire historique des Imazighen couvre toute l’Afrique du Nord, de l’Égypte à l’Atlantique, de la Méditerranée aux régions saharo-sahéliennes, l’Algérie et le Maroc restent les pays, où la présence berbère est la plus marquée, et ceux où la « question berbère » se pose avec le plus d’acuité, cf. l’article « Berbères » par Salem Chaker, consultable sur Universalis.edu. Toutes ces régions ont développé des particularités bien spécifiques, se traduisant notamment dans l’art de se coiffer.

    Les travaux des ethnologues Jean Besancenot [1902-1992], puis Mireille Morin-Barde [1916-2002], ou encore Odette Loyen du Puigaudeau [1894-1991] relèvent la diversité infinie des coiffures imazighen, avec comme élément commun, la tresse. Celle-ci peut être augmentée de mille artifices : fils de laine ou poils de chèvre, pelotes ou coussinets, parfois utilisés sur une ossature de bois, ou de jonc enrobé de chiffons. Aux différents types de coiffures répond un lexique amazigh, une terminologie des plus riches, dressant un véritable « vocabulaire » capillaire !

    Typologie des coiffures imazighen, marqueur d’appartenance ethnique

    Jean Besancenot

    Parcourant le Maroc de 1934 à 1939, Jean Besancenot réalise une documentation photographique sur les costumes et parures traditionnels des différentes ethnies marocaines. Les 1 800 photographies qu’acquiert l’IMA en 1984, restituent la minutieuse classification par origine géographique et population qu’il a entreprise. Parmi quelques-unes, accessibles via le portail documentaire Altaïr, citons celles des femmes harratine de la vallée du Ziz : leur coiffure est faite de nombreuses petites nattes fines qui se rejoignent sur les côtés pour former deux grosses nattes, appelées dmouj, se rejoignant sur l’arrière et pendant jusqu’aux reins [numéro d’inventaire 766].

    Publié chez Édisud, dans la collection « La Croisée des chemins », l’ouvrage Costumes du Maroc de Besancenot présente 60 planches documentées des costumes marocains et de leurs significations dans les coutumes locales. Toujours à propos des femmes harratine, on peut y retrouver p. 98 :

    « La coiffure des hartaniat de la vallée du Ziz est une des plus remarquables du Sud marocain. Les cheveux sont divisés par moitié et de nombreuses petites nattes en soutiennent deux autres, énormes, les dmouj (cornes), qui font le tour complet de la tête et pendent jusqu’aux reins, prolongées par deux pompons de laine, ifili n-wachioune. Une garniture de petites rondelles d’argent imbriquées, douah, tombe en ruban sur la ligne médiane des nattes. Un ornement semblable mais plus petit, le soualef, s’enroule autour de la tête. De nombreux coquillages et grains de corail, des motifs d’argent et des amulettes complètent cette savante coiffure. »

    Les fillettes des Imerrhane portent des couronnes-diadèmes faites de petites nattes, garnis de pièces d’argent et de perles de corail [nos inv. 824, 825, 826]. Ou encore, toujours dans l’ouvrage Costumes du Maroc, p. 90 :

    « La coiffure des Imerrhane est très caractéristique : deux longues nattes terminées par une pièce d’argent pendent de chaque côté du visage alors que deux autres nattes mêlées de laine descendent derrière les oreilles, enveloppées dans un foulard de laine rouge foncé. On peut voir sur celui-ci l’ornement de tête appelé talgamout (le petit mors). Il est composé d’un motif frontal à décors d’émaux cloisonnés maintenu par des chaînettes qui recouvrent la tête ; il s’attache en arrière par un crochet. Cette parure est également très répandue chez les Glaoua et dans l’Anti-Atlas où il en existe des modèles variés. Dans les environs de Skoura, on lui adjoint fréquemment le sfifa, diadème de pièces d’argent et de perles de corail. »

    Les femmes des Aït Morrhad, en tenue usuelle pour le travail en izar de cotonnade bleue fixé non pas par des fibules mais par un système de tresses formant des bretelles qui le maintient au-dessus des épaules [no inv. 565, 566]. Les femmes des Chtouka, portent une frange et deux nattes descendent sur le devant du visage [no inv.  1223].

    Mireille Morin-Barde

    Au cours de trois missions, entre 1950 et 1952, sur des suggestions de l’ethnologue Jean Besancenot, Mireille Morin-Barde se documente patiemment sur chaque tribu berbère et sur les communautés juives, du Haut Atlas à la vallée du Drâa sans oublier le Tafilalet, photographiant à tout va et dessinant chaque détail des costumes féminins, constituant ainsi un témoignage rare et étonnant d’usages et de tenues en voie de disparition.

    Cette remarquable étude sera finalement publiée par Édisud en 1990, sous le titre Coiffures féminines du Maroc : au sud du Haut Atlas, dont le lexique relatif à la chevelure consigne une centaine de termes. En berbère aḫrib désigne une coiffure à double rembourrage de tresses, celle-ci restant l’apanage des femmes Aït Morrhad. Le terme adlal désigne par ailleurs une coiffure à tresses relevées, caractérisant les femmes Mgouna. La tresse de derrière, dite tamnayt, prises dans des macarons, évoque la coiffure des Aït Seddrate. Les femmes Atta porte elles, une tresse épaissie relevée sur la tête.

    À l’entrée « Coiffure. Femmes berbères, du Haut Atlas central au Sud marocain », dans l’Encyclopédie berbère, vol. XIII, 1994, p. 2042-2046, (également consultable en ligne sur OpenEdition), Mireille Morin-Barde documente l’usage de postiches chez femmes berbères, du versant sud du Haut Atlas central aux palmeraies du sud marocain, p. 2042 :

    « Ce rembourrage (qzzaw) a la forme d’un gros croissant aux extrémités élargies. Posé sur la tête et solidement ficelé, il reproduit très exactement l’effet des tresses épaissies relevées derrière les oreilles, en une courbe gracieuse qui donne à cette coiffure une allure moyenâgeuse. Cet artifice se décèle difficilement, sinon par son volume, sous le mouchoir qui le recouvre et le maintient et sur lequel s’accrochent diverses parures d’argent et des cordelières de soie aux couleurs vives. »

    Odette Loyen du Puigaudeau et Marion Sénones

    L’ethnologue française Odette Loyen du Puigaudeau, accompagnée par Marion Sénones, explorent quant à elles, la partie occidentale du Sahara, entre novembre 1933 et octobre 1934, à travers un voyage de plus de 4 500 kilomètres. Dans son ouvrage Arts et coutumes des Maures, Odette Loyen du Puigaudeau documente les parures des berbères du Sahara :

    « Le chef d’œuvre de la coquetterie saharienne, c’est cette coiffure, à la fois vannerie, tissage et broderie de cheveux, dont on n’aperçoit que le devant du diadème et les longues nattes emperlées, encadrant le visage ; (…) Les éléments essentiels de cette coiffure sont : la couronne, natte, torsade ou cheveux lisses enroulés sur une forme de fer ou de chiffon et cinq tresses retombant sur le cou. »

    Aux Éditions Paulsen, l’ouvrage L’Année des deux dames, par Marine Sanclemente et Catherine Faye, sur les traces d’Odette du Puigaudeau et Marion Sénones, dresse un portrait mosaïque de ce duo d’exploratrices françaises, à la fois journalistes, ethnologues et dessinatrices. Le podcast RFI, Si loin si proche, « Odette du Puigaudeau et Marion Sénones, aventurières des sables », diffusé le 11/09/2020, retrace leur itinéraire sur les pistes caravanières, dans les immensités sahariennes :

    Si loin si proche, « Odette du Puigaudeau et Marion Sénones, aventurières des sables ». Durée : 48′30.

    Tressage et mariage

    Pour l’anthropologue Corinne Fortier, s’intéressant aux tribus berbères de Mauritanie, la coiffure amazigh témoignerait aussi (et surtout) de représentations différentielles liées au masculin et au féminin. Dans son article « La barbe ou la tresse : des cheveux et des poils marqueurs de la différence sexuée » (Poils et sang. Cahier d’anthropologie sociale, n60, 2010, p. 94-104), celle-ci rapproche la chevelure féminine contenue dans une tresse extrêmement serrée, d’un contrôle de son corps par un tiers, ce qui lui est notamment rappelé par le fait qu’elle ne peut se tresser les cheveux elle-même.

    L’ouvrage Splendeurs du Maroc [Exposition au Musée Royal de l’Afrique Centrale (Tervuren, Belgique) du 30 octobre 1998 au 31 mai 1999], publié au Éditions Plume, donne à voir, no 601, des peignes en bois ou tassissit, justement utilisés pour le coiffage des cheveux. Ceux-ci sont conservés dans les collections du Musée Royal de l’Afrique Centrale, sous les numéros d’inventaire, 1982.19. 73-75-77.

    Recueillis en 1944 et 1956, dans le Haut-Atlas marocain par Pierre Amard, les Textes berbères des Aït Ouaouzquite. Ouarzazate, Maroc, se présentent comme un ensemble de textes bilingues, illustrant la vie quotidienne ouaouzguite. Le texte no 27, intitulé « Quand la jeune fille change de coiffure », décrit l’intervention de la coiffeuse au cours d’un cérémoniel, p. 117 :

    « Quand la fille atteint sa neuvième ou dixième année et que toute sa tête est entièrement recouverte par ses cheveux, on procède à la cérémonie de la “noce”. On fait appel à toutes les femmes du village, on pile du blé et on en fait la bouillie appelée “unjimn”. Quand toutes les femmes sont réunies, les parents de la fille envoient chercher la femme qui a la spécialité de savoir coiffer. Cette femme s’assied au milieu des autres. La fille apporte du henné. Les femmes se mettent à chanter de joie et la “coiffeuse” se met à peigner la fille. Quand toute sa chevelure est tressée, la fille se lève et embrasse toutes les femmes. À ce moment on donne aux femmes de la bouillie et du beurre et elles mangent. Parfois elles font un acte particulier. Chacune d’elles donne quelque argent à la jeune fille. »

    Par ailleurs, la série de coiffures que connaît la fillette durant son enfance montre que, plus elle approche de la puberté, plus elle porte de tresses. Cela correspond à une plus grande importance de la séduction, ainsi qu’à un plus grand contrôle de la sexualité à cette période pré-pubertaire qui est aussi traditionnellement celle du mariage. S’il arrive qu’une femme se marie dans un autre groupe que le sien, ce qui est relativement rare, il lui faut alors modifier sa coiffure, adopter celle de sa tribu d’accueil.

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